Les rues de Nanterre bruissent d’une énergie singulière. Plus qu’un simple bruissement, c’est une intensité, un parfum de changement, presque palpable. À la Faculté de Nanterre, plus de 1 500 féministes du monde entier se retrouvent, unies par des combats communs, malgré leurs parcours et cultures singuliers. Cette Rencontre internationale transcende les frontières et les générations, frappant là où tout a commencé : dans une université, là où les idées se forgent et prennent vie. L’écho de ces voix fait vibrer l’appel à l’égalité, à la sororité et au militantisme diversifié, rappelant le poids et la force des droits des femmes partout dans le monde.
Un creuset historique pour le féminisme mondial
Si la faculté de Nanterre a une aura particulière, ce n’est pas un hasard. Décembre 1968, le MLF – Mouvement de Libération des Femmes – y voit le jour, comme une étincelle dans une époque en fracas. Depuis, ce lieu est un symbole, un refuge intellectuel et politique où se croisent et s’apaisent les tensions sociales. La Rencontre des féministes qui s’y tient aujourd’hui ne fait que prolonger cet héritage. C’est une continuité dans un combat où s’entremêlent réflexions universitaires et militantisme sur le terrain, sur l’espace public et virtuel. L’enjeu est grand : comment faire dialoguer des luttes féministes multiples dans un univers globalisé sans diluer la richesse de leurs spécificités?
Cette rencontre mondiale stimule des échanges passionnés, mais aussi parfois houleux. On y parle de politique, de droits fondamentaux, de violences sexistes et sexuelles, d’inégalités économiques, de stéréotypes sur le corps des femmes. Des consultantes en droits humains croisent la parole de militantes venues d’Amérique du Sud ou d’Iran, témoignant de combats menés dans des contextes politiques oppressifs. Chaque voix, portée avec force et sensibilité, éclaire une facette différente d’un même combat universel.
Par exemple, Véronica Gago, militante argentine du mouvement Ni Una Menos, évoque la puissance féministe de ces mobilisations anti-autoritaires qui dépassent le seul périmètre des droits des femmes pour s’ouvrir aux luttes antiracistes et anticapitalistes. Tandis que Chirinne Ardakani, iranienne engagée pour la justice, expose le poids des violences d’État et la force de la résistance féminine dans un pays où se côtoient répression policière et injonctions historiques.
Cette dynamique souligne l’importance d’une remise en question permanente des cadres de pensée féministe occidentaux pour mieux intégrer les apports issus du Sud global. La diversité d’expériences, loin d’être un frein, devient une réelle source d’enrichissement, une invitation à penser collectivement la sororité au-delà des clivages, à comprendre et respecter des combats qui se vivent de manière différente partout.
- Faire revivre l’héritage de mai 1968 et du MLF en écho aux luttes actuelles
- Créer des alliances entre féminismes locaux et transnationaux
- Renforcer la solidarité entre différentes causes féministes et sociales
- Ouvrir le dialogue entre militant·es et académicien·nes
Le féminisme décolonial et intersectionnel : voix du Sud et lutte globale
Au cœur des débats à Nanterre, le féminisme décolonial occupe une place de choix. Issu des luttes anti-coloniales, il invite à déconstruire les récits universels et à reconnaître la pluralité des oppressions combinées qui touchent particulièrement les femmes racisées. Ce courant met en exergue une problématique cruciale : critiquer le féminisme blanc dominant tout en construisant une alliance authentique avec les luttes antiracistes et anticapitalistes.
Françoise Vergès, référence majeure en la matière, pointe la nécessité de sortir du féminisme institutionnel souvent tronqué par une vision universaliste blanche qui ignore les expériences du Sud et des populations non-blanches. Pour que le féminisme soit un outil d’émancipation réel, il faut impérativement intégrer la mémoire historique des colonisations et le rôle du capitalisme racial et patriarcal dans les inégalités actuelles.
Les intersections entre genre, race, classe sociale, orientation sexuelle et situation migratoire s’entrelacent dans le vécu singulier de chacune. L’intersectionnalité, malheureusement encore peu prise en compte dans certains espaces européens, est présentée ici non comme un outil théorique abstrait, mais comme un levier politique indispensable à la reconnaissance de la diversité des souffrances et des résistances.
À titre d’illustration, les combats des femmes indigènes en Amérique Latine pour la préservation de leurs terres et contre l’extractivisme rejoignent ceux des militantes en France dénonçant le racisme d’État ou la stigmatisation des femmes voilées. Lallab, association féministe et antiraciste française, en est un exemple vibrant, donnant la parole aux femmes musulmanes qui subissent une triple oppressions : sexiste, raciale et islamophobe.
- Repenser le savoir féministe par la déconstruction des récits occidentaux
- Approfondir les alliances féministes, antiracistes et décoloniales
- Valoriser les expériences des femmes racisées, musulmanes, indigènes
- Démanteler le capitalisme racial et hétéropatriarcal
Les générations féministes : confrontations, continuités et évolutions
La rencontre à Nanterre rassemble des militantes, des chercheuses, des étudiantes de tous âges et horizons. Cette diversité génère aussi des divergences parfois vives, notamment sur des questions épineuses telles que la prostitution, l’inclusion des personnes transgenres ou encore les liens entre féminisme et religions. Ces tensions ne sont pas des failles, mais traduisent la vitalité et la complexité du féminisme contemporain.
Une nouvelle génération, plus radicale, inclusive, souhaite déconstruire ses propres biais sexistes intériorisés. Cette démarche d’auto-analyse permet d’explorer des zones délicates, incluant la critique de l’hétérocentrisme, des normes sexistes ou encore la reconnaissance des identités queer. La fluidité des genres, les pratiques militantes queer et LGBTQIA+ gagnent du terrain, bousculant ainsi les frontières du féminisme traditionnel.
À l’inverse, dans certains débats, les divergences apparaissent plus claires. Par exemple, la question du travail du sexe divise les féministes depuis longtemps. Les féministes abolitionnistes dénoncent la prostitution comme violence patriarcale systémique, tandis que les féministes pro-sexe soutiennent la reconnaissance du travail du sexe comme un choix possible, exigeant des conditions dignes et un cadre légal protecteur.
Cette confrontation est aussi illustrée par l’accueil réservé à la PMA et la GPA. En France, l’ouverture de la PMA pour toutes les femmes demeure un combat encore inabouti à bien des égards, notamment pour les femmes transgenres. Quant à la GPA, elle reste interdite, soulevant un débat éthique et politique majeur entre droits individuels, risques de commercialisation des corps et lutte contre l’exploitation.
- Favoriser le dialogue intergénérationnel pour enrichir les combats
- Reconnaître et respecter la pluralité des expériences et opinions
- Mobiliser sur les questions transversales sans exclure les minorités de genre
- Porter collectivement les avancées législatives comme la PMA élargie
Masculinités : questionner, déconstruire, inviter à l’alliance égalitaire
Sans évacuer la voix des femmes et minorités de genre, la réflexion féministe à Nanterre s’est aussi attachée à interroger les masculinités, longtemps laissées en marge des études de genre. L’analyse des constructions sociales de la virilité, souvent toxique et violente, fait désormais partie intégrante du militantisme féministe moderne.
L’appréhension critique des masculinités hégémoniques révèle la pression sociale qui pousse les hommes à conformer leur comportement à des normes strictes de domination, de contrôle, de refoulement émotionnel. Selon Michael Kimmel et d’autres chercheurs, ce modèle patriarcal nuit autant aux femmes qu’aux hommes eux-mêmes, en perpétuant des cycles de violence et de souffrance émotionnelle.
Des initiatives récentes en France et ailleurs cherchent à impliquer les hommes comme alliés, sans nier pour autant les privilèges liés à leur genre. Des figures publiques telles que Eddy de Pretto ou Augustin Trapenard contribuent à diffuser ces discours d’égalité, aidant les garçons et hommes à se sentir légitimes à exprimer leur vulnérabilité, à rejeter la violence normative.
Il ne s’agit ni d’exclure ni d’idéaliser, mais de déconstruire ensemble un système rigide qui aliène chacun·e. C’est un pas vers plus de sororité, au sens large, et d’empowerment partagé.
- Étudier la socialisation masculine et ses normes oppressives
- Favoriser la prise de conscience et l’allyship des hommes féministes
- Déconstruire la virilité toxique génératrice de violences
- Promouvoir de nouvelles formes plus inclusives de masculinité
Militer aujourd’hui : diversité des luttes et des modes d’action
Les mobilisations féministes ne se limitent plus aux traditionnelles manifestations. Les militant·es jonglent avec une palette riche de moyens d’action : l’espace digital, les réseaux sociaux, les performances artistiques, et bien sûr la rue. Les campagnes #MeToo ou #Balancetonporc, initiées dans la sphère en ligne, ont ébranlé l’ordre public. Elles illustrent combien l’information circule vite, et combien chaque voix compte, surtout lorsqu’elle est portée collectivement.
La non-mixité perpétue son rôle stratégique, offrant des espaces sûrs pour libérer la parole des femmes et des minorités genrées, loin des interférences traditionnelles. Par exemple, le Festival Nyansapo, dédié aux femmes racisées, incarne cette revendication d’espace spécifique où la sororité s’incarne dans toute sa force.
Les pratiques artistiques militantes utilisent aussi le corps comme outil politique. Les FEMEN, avec leurs actions coups de poing, détournent les codes de l’exhibition pour dénoncer le patriarcat. Le voguing et la danse queer, apparus dans les communautés racisées américaines, constituent un espace de réappropriation identitaire et corporelle.
La rue reste le champ de bataille symbolique incontournable. Les collages féministes, visibles sur les murs, scandent les slogans à l’aune des féminicides. Chaque action, subversive ou festive, affirme un droit essentiel : celui de s’approprier l’espace public en tant que femmes libres et visibles.
- Exploiter les réseaux sociaux comme outil d’information et de mobilisation
- Créer des espaces non-mixtes pour renforcer les liens militants
- Utiliser la performance et le corps comme moyen de contestation
- Revendiquer la rue comme lieu de visibilité et d’empowerment féministe
Renforcer la voix des femmes par le militantisme inclusif et l’empowerment collectif
Au croisement des débats et actions, ressurgit avec force la nécessité de renforcer la voix des femmes, dans toute leur diversité. Le militantisme inclusif est un enjeu central : c’est une invitation à reconnaître, non pas des minorités, mais une pluralité d’expériences, un kaléidoscope d’identités féminines, que ce soit par l’âge, les origines sociales ou ethniques, les orientations sexuelles ou les identités de genre.
La sororité ne peut être pensée comme un simple lien affectif, mais comme une solidarité politique. Ce lien puissant permet de dépasser les différences. En cela, il s’affirme comme un levier d’empowerment, permettant à toutes les femmes, pas seulement les plus visibles, d’accéder à un pouvoir d’agir et à une reconnaissance dans l’espace social.
L’inclusivité, loin d’affaiblir, densifie le combat féministe. Elle doit se déployer dans tous les espaces, de l’université aux rues, des conseils municipaux aux instances internationales. Dans ce cadre, le débat quinquagénaire autour des féminismes existe toujours, mais il se recharge d’une nouvelle vie, grâce aux jeunes activistes qui s’emparent des causes avec audace, humour et un souffle renouvelé.
- Écouter et légitimer les différentes voix féminines
- Créer des coalitions intersectionnelles et durables
- Porter les luttes au niveau local et global
- Promouvoir un feministisme joyeux, teinté d’humour et de puissance
Le rôle des institutions dans la promotion des droits des femmes
Depuis plusieurs décennies, les institutions nationales et internationales ont joué un rôle clé dans la structuration des revendications féministes. Des ministères dédiés, des groupes parlementaires à l’ONU ou à l’Union européenne ont permis d’inscrire l’égalité de genre dans les lois et politiques publiques. Mais la rencontre de Nanterre souligne aussi l’ambivalence des institutions.
Le débat est vif sur le féminisme d’État : peut-on réellement transformer les sociétés en comptant sur des systèmes mêmes souvent imprégnés des logiques patriarcales ? La participation institutionnelle est-elle un outil ou un piège ? Les exemples abondent de réformes partielles sans remise en cause profonde, semant parfois la confusion et la division entre militant·es.
En même temps, les institutions restent un levier essentiel pour instaurer des mesures concrètes, par exemple concernant la reconnaissance du travail domestique, l’égalité salariale, la lutte contre les violences sexistes ou les congés parentaux. Elles garantissent aussi un cadre légal, indispensable pour protéger les droits durement acquis.
- Accroître la présence féminine dans les instances décisionnelles
- Renforcer les dispositifs contre les violences sexistes et sexuelles
- Promouvoir l’éducation à l’égalité dès le plus jeune âge
- Veiller à la représentativité des minorités de genre dans les politiques publiques
Le combat pour les droits sexuels et reproductifs au centre des préoccupations
Le lien entre contrôle du corps des femmes, lutte pour l’émancipation et féminisme est au cœur des discussions lors de cette rencontre. L’inscription de l’IVG dans la Constitution française, fêté son premier anniversaire l’an dernier, est une victoire majeure. Mais la vigilance est de mise face aux tentatives de régression, notamment sur la scène mondiale.
Les combats contre les violences sexuelles, ainsi que les revendications pour l’accès universel à la contraception et à la procréation médicalement assistée, restent fondamentaux. La situation de nombreuses femmes dans le monde illustre les défis persistant : oppression religieuse, privation de droits, stigmatisation des personnes transgenres et des minorités sexuelles.
Dans cette perspective, le féminisme pro-sexe gagne du terrain. Il défend la réappropriation des sexualités par les femmes et les minorités, refusant toute victimisation imposée. Le débat autour de la pornographie féministe, initié par Ovidie, renouvelle les façons de penser la sexualité à travers la quête du consentement et de la diversité des corps et désirs.
- Garantir le droit à disposer de son corps sans entraves
- Défendre l’accès universel aux dispositifs contraceptifs et à l’IVG
- Reconnaitre les droits des personnes LGBTQIA+ en matière de parentalité
- Débattre sans tabou des questions liées à la sexualité, y compris dans les milieux féministes
Découvrir l’exposition choc sur les féminicides
Cette Rencontre à Nanterre montre un féminisme en mouvement, multiple, parfois contradictoire, mais toujours porteur d’espoir et de puissance collective. Les voix venues des quatre coins du monde résonnent dans les amphithéâtres et dans les rues avoisinantes. Elles rappellent que l’égalité n’est ni acquise ni linéaire, mais qu’elle se construit chaque jour au prix d’une sororité combattante et d’un militantisme engagé.