Ce soir-là, dans un petit bar parisien entre République et Bastille, Léa, une bassiste du coin, serre les poings en silence après un concert. Autour d’elle, quelques musiciens échangent sur la setlist du groupe, mais ce qui vrille l’atmosphère, ce sont les remarques qu’elle a entendues juste avant de monter sur scène : « T’es mignonne, la basse, c’est pas pour toi », ou ce « Eh, tu joues bien… pour une fille » balancé à la volée. Cette scène est tristement banale. Dans l’industrie musicale en 2025, le sexisme – de l’insinuation à la discrimination – s’écrit encore en une gamme complexe d’injustices et de silences. Depuis cinq ans, le site « Paye ta note » met en lumière ces fausses notes, proposant une caisse de résonance nécessaire pour des centaines de femmes qui répètent que ça suffit.
Le sexisme ordinaire dans l’industrie musicale : un constat frappant
Depuis sa création, Paye ta note anime une dynamique de liberté de parole, recueillant témoignages brutaux et lumineux sur les violences sexistes dans le secteur musical. Derrière ce nom direct, l’écho des expériences est saisissant : agressions, discriminations, remarques sexistes, injonctions permanentes à être autre chose qu’elles-mêmes.
En 2019, plus de 1 200 professionnelles du secteur ont signé une tribune dans Télérama pour dénoncer :
- des disparités salariales flagrantes ;
- l’invisibilité des femmes aux postes à responsabilité ;
- les préjugés et non-dits qui restreignent leur carrière.
Cinquante ans après que les notes de Nina Simone ont résonné contre le racisme, aujourd’hui encore, ce sont les notes du sexisme qui résonnent dans les coulisses. Le constat est glaçant : seule une faible part des femmes accède aux postes clés — en 2019, sur 28 opéras en France, seuls quatre étaient dirigés par des femmes. La musique classique, figure réputée d’excellence et rigueur, reste un bastion patriarcal que peu réussissent à bousculer.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon une étude Midia Research publiée en 2022, 80 % des artistes féminines estiment qu’ils leur sont plus difficiles d’être reconnues que leurs homologues masculins. Plus troublant encore, 9 personnes sur 10 constatent un traitement différencié en fonction du genre. La musique, dans son apparente liberté créative, reste traversée par des rapports de force traditionnels, qui fabriquent des carrières et découragent autant d’artistes que de professionnelles du secteur.
C’est dans ce climat que des initiatives comme celles de Paye ta note, des collectifs féminins tels que Femmes en Son, Les Filles du Sound, et Sisters in Music voient le jour, insufflant un vent de résistance imprévu mais vital dans les loges et studios.
« Paye ta note » : confessions et dénonciations d’un sexisme rampant
Agathe, 35 ans, musicienne et fondatrice anonyme du site, raconte sa traversée d’un milieu musical où le sexisme n’est pas une aberration, mais un compagnon invisible et épuisant. En quelques jours, la page reçoit plus d’une cinquantaine de témoignages. Des confidences anonymes mais d’une violence sourde : « Mais si tu ne couches pas avec moi, il n’y aura pas d’album, ma chérie » ; « C’est trop dur pour une femme ce boulot, laisse tomber, fais du théâtre » ; « Qu’est-ce que t’es bonne à la guitare », clin d’œil lourd d’un public masculin.
La répétition de ces violences ordinairement banalisées forge un sentiment d’impuissance : femmes cheffes d’orchestre, ingénieures du son, rappeuses ou productrices livrent un même récit brutal, celui d’un plafond de verre renforcé par des comportements oppressifs, validés par une industrie qui entretient ses réseaux et ses injonctions sexistes.
Le site ne se contente pas de dénoncer, il agit. Une page d’aide répertorie tous les services de soutien à destination des victimes de harcèlement sexuel. Cette double vocation — éclairer et soutenir — donne à Paye ta note une place cruciale dans le combat contre le sexisme déclaré et souterrain.
- L’anonymat garanti pour protéger les victimes et témoins.
- Une grande variété de situations et de témoignages : artistes, techniciennes, productrices.
- Des solutions pratiques pour identifier les recours possibles.
La musique comme espace de liberté demeure paradoxalement un microcosme où la parole féminine reste confisquée. Les victimes de ce milieu ne veulent plus que leurs histoires soient tues ni reléguées aux coulisses. Ce site gagne à être connu pour que la note fausse disparaisse enfin du spectacle.
Rap et sexisme : les fausses notes d’un genre musical majeur
Le rap, genre musical devenu incontournable au 21ème siècle, incarne paradoxalement l’un des bastions les plus résistants au changement en matière d’égalité de genre. En 2025, il demeure un terrain où stéréotypes sexistes et paroles misogynes continuent de proliférer sous les projecteurs.
Impossible d’ignorer les paroles d’artistes français comme Jul, Orelsan ou Booba, dont certains titres contiennent des textes lourdement dégradants envers les femmes. Le cas d’Orelsan, convoqué devant la justice en 2009 pour ses chansons controversées, illustre l’intensité du débat entre liberté artistique et responsabilité sociale.
En Belgique, Damso a aussi fait polémique, contraint de retirer sa candidature pour l’hymne de l’équipe nationale lors du mondial 2018 à cause de ses paroles jugées offensantes.
Paradoxalement, Damso affirme ne pas être misogyne. « Je parle de femmes à travers mes histoires personnelles », explique-t-il au Parisien, revendiquant quelques points de féminisme. Pourtant, ces paroles, profondément ancrées dans une vision réduite et sexualisée, donnent à voir le décalage persistant entre prise de conscience individuelle et effets collectifs toxiques.
Le rap est aussi une scène où les femmes commencent à émerger, menant une bataille pour imposer leur voix et redéfinir le genre. Néanmoins, leur présence reste sur un fil, rythmée par les impasses et les ouvertures.
- Paroles misogynes et représentations dégradantes persistent.
- Les rappeuses féminines se mobilisent dans des collectifs pour se soutenir.
- Le public majoritairement masculin reste un défi à conquérir.
Dans cet univers encore largement masculin et compétitif, la lutte féministe s’affirme comme une nécessité criante, fondée autour d’un constat indispensable : le rap ne doit pas être un monde où l’égalité artistique est un vœu pieux, mais un objectif structurant.
Collectifs féminins : quand les Sorcières de la Musique prennent le pouvoir
Face à l’oppression permanente, des collectifs s’organisent pour briser le silence et redistributeur les cartes. Le collectif Écoute Meuf, présent sur Instagram, est emblématique de ce combat féministe et culturel. Par leurs playlists exclusivement féminines et événements dédiés, ils valorisent le talent des chanteuses et musiciennes trop souvent invisibilisées.
Le fonctionnement de ces communautés est à la fois résilience et revendication :
- Partage de playlists 100% féminines pour contrer l’invisibilité sur les ondes.
- Organisation d’événements musicaux à Paris, comme à La Flèche d’Or, mettant en lumière les rappeuses et DJ femmes.
- Amplification des voix artistiques souvent noyées dans l’industrie majoritaire.
Par ailleurs, Femmes en Son et Les Filles du Sound interviennent dans la promotion de l’égalité dans les métiers techniques, encore trop perçus comme des domaines masculins. Ces initiatives sont accompagnées par des opérations de sensibilisation dans les conservatoires, labels, festivals, et autres sphères de la musique professionnelle.
Une part importante de cette action s’appuie aussi sur la visibilité sociale. Ainsi, d’autres plateformes comme « Paye ton opéra » ou « Music Too » recensent les témoignages d’artistes victimes de discriminations ou de violences. Le collectif Diva, plus centré sur les femmes LGBTQ+, ajoute une dimension inclusive souvent absente des débats grand public.
Cette mobilisation collective illustre comment, petit à petit, les failles se fissurent dans un système qui semblait figé. Les Sorcières de la Musique, entre force féminine ancestrale et avant-garde digitale, remettent en question les règles du jeu.
Sexisme dans les coulisses : un héritage de silence et d’omerta
Ce qui se joue sur scène est une mise en lumière, mais dans les coulisses, le sexisme est plus sournois, souvent invisible aux yeux du public, mais omniprésent pour celles qui en vivent l’enfer. De la jeune technicienne de son au directeur artistique, les rapports de force et harcèlements perdurent, rendant difficile toute dénonciation.
Le site Paye ta note révèle l’une des clés du problème : la peur de l’isolement professionnel. Les scènes nationales et les festivals sont connectés en réseaux étroits où une parole critique peut faire perdre des opportunités décisives. Cette omerta, dénoncée dans une enquête récente de la CGT, maintient les femmes dans une position de vulnérabilité.
Nombreuses sont celles qui témoignent de situations absurdes où leur compétence est systématiquement remise en cause :
- « Je dois prouver dix fois plus que les hommes pour être prise au sérieux », confie une ingénieure du son.
- « On me propose de l’aide pour brancher ma guitare, comme si c’était un exploit que je sache faire », raconte une chanteuse.
- « J’ai été mise à l’écart des groupes de travail après avoir refusé une invitation ambiguë », dénonce une violoniste classique.
Une réalité collective, aussi diverse qu’elle soit, forge un sentiment d’épuisement psychique qui fait partie de cette double charge que supportent ces femmes : produire de la musique, en devant sans cesse lutter contre des préjugés et des comportements toxiques. Ce poids invisible, c’est aussi ce que traitent régulièrement des espaces comme le mouvement #NousToutes qui dévoilent les mécanismes de harcèlement au travail.
La reconnaissance des artistes féminines : un combat pour l’égalité artistique
Malgré ces entraves, la scène musicale regorge de talents féminins, parfois masqués, souvent contestataires. La question de la reconnaissance est au cœur des luttes. Trop souvent cantonnées à des rôles réducteurs, parfois réduites à leur apparence ou à des clichés stéréotypés, les chanteuses et musiciennes féminines militent pour un traitement équitable.
Par exemple, Clara Luciani, révélation récente de la variété française, a partagé dans une interview pour Konbini une scène révélatrice : « Un mec dans le public a lancé qu’on ne m’avait pas prise pour ma voix, juste parce que je portais une jupe un peu courte ». De ces micro-agressions répétées naît un effet cumulé épuisant.
Être une femme artiste, c’est aussi devoir sans cesse « prouver » sa légitimité dans un monde où la notion d’égalité artistique peine à s’imposer véritablement.
- Discrimination à l’embauche et au choix des festivals
- Invisible dans les programmations clés et grandes scènes
- Minimisées face à leurs homologues masculins
Heureusement, des réseaux comme Culture Égalité ou les Sisters in Music s’engagent à promouvoir une scène plus équilibrée, aussi bien dans le spotlight que dans les coulisses. C’est une dynamique porteuse d’espoir, qui contribue à faire bouger les lignes.
Empowerment et féminisme rythmique : comment la musique devient un outil de combat
Dans ce milieu de contraintes, les artistes féminines exploitent la musique pour s’émanciper, raconter leur quotidien et renverser les normes. La musique devient un outil d’empowerment où le féminisme et rythme se conjuguent pour libérer la parole et dénoncer des absurdités.
Des morceaux comme « La Grenade » de Clara Luciani incarnent cette volonté d’affirmation et de rupture. L’artiste y déploie une furieuse énergie contre les oppressions subies, à la fois personnelle et collective. Au-delà de la chanson, la scène devient un espace de résistance féconde, où l’expression féminine se réinvente sans concession.
Par ailleurs, la présence croissante de femmes DJ, productrices et beatmeakers soutient une redéfinition des imaginaires artistiques. Écouter ces talents — au sein d’initiatives comme Femmes en Son — c’est comprendre que la place des femmes n’est pas une niche mais un horizon.
- Un féminisme créatif porté par les artistes elles-mêmes
- Une pluralité de voix réactualisant les luttes
- Une visibilité accrue via les réseaux et collectifs
La musique pop, la chanson française, le rap, le jazz ou même la musique électronique : partout, la femme artiste impose sa cadence nouvelle. Le combat pour la reconnaissance rejoint alors celui de la transformation culturelle et sociale.
Les défis à venir : que manque-t-il pour faire changer les partitions ?
Alors que la prise de conscience progresse, certains obstacles persistent pour que l’industrie musicale touche enfin à une réelle Égalité Artistique. La faible présence des femmes aux postes décisionnaires reste un frein majeur. Par exemple, rares sont les femmes productrices ou directrices de festivals, ce qui limite l’ouverture de la programmation aux artistes féminines.
De plus, la persistance d’un public majoritaire masculin dans certains styles — notamment le rap — crée une pression continue sur les jeunes artistes féminines qui doivent naviguer entre attentes contradictoires et stigmatisations.
Côté politique, le cadre réglementaire peine à évoluer avec des lois souvent insuffisantes pour sanctionner sérieusement le harcèlement ou la discrimination dans l’industrie musicale.
Des pistes de solutions émergent :
- Diversification des programmations dans les festivals et radios
- Promotion de politiques d’inclusion dans les écoles et institutions musicales
- Soutien accru aux collectifs féminins comme Les Filles du Sound, « Femmes en Son » et « Sorcières de la Musique »
- Campagnes de sensibilisation à large échelle dans les milieux professionnels
En somme, il est indispensable que la lutte contre le sexisme ne soit pas qu’un refrain mais devienne une composition collective, mixant éducation, sanctions et sursauts culturels pour faire enfin vibrer une harmonie réelle.