Les femmes pilotes en Formule 1 : Une histoire méconnue

samu
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Race car leading

Quand on pense à la Formule 1, on imagine immédiatement des bolides ultra-rapides pilotés par des champions masculins comme Lewis Hamilton, Max Verstappen ou Charles Leclerc. Pourtant, la F1 est en réalité un sport mixte où rien n’interdit aux femmes de courir au même titre que les hommes. Alors pourquoi sont-elles si peu nombreuses à avoir tenté l’aventure ? Pourquoi aucune femme n’est parvenue à s’imposer durablement dans la catégorie reine du sport automobile ? Retour sur une histoire méconnue et un avenir qui s’annonce peut-être plus féminin.

🏁 Cinq pionnières entre 1958 et 1992

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les femmes ont eu leur place dès les débuts de la Formule 1 moderne à la fin des années 1950. Cinq pionnières ont participé à au moins un Grand Prix entre 1958 et 1992 :

L’Italienne Maria Teresa De Filippis, première femme engagée en F1, a pris le départ de 3 courses en 1958-1959.
Sa compatriote Lella Lombardi détient le record de participations féminines avec 17 GP disputés entre 1974 et 1976. Elle est la seule à avoir inscrit un demi-point au championnat en terminant 6e en Espagne en 1975.
La Britannique Divina Galica (1976 et 1978) et la Sud-Africaine Desiré Wilson (1980) ont tenté sans succès de se qualifier.
Giovanna Amati est la dernière femme à avoir piloté en Grand Prix, échouant à se qualifier à 3 reprises début 1992.

Même si aucune de ces pionnières n’a vraiment brillé en piste, elles ont ouvert une voie. D’autres ont par la suite effectué des essais en F1 sans courir comme Katherine Legge (Minardi, 2005), Susie Wolff (Williams, 2014-2015), María de Villota (Marussia, 2012) ou plus récemment Tatiana Calderón (Sauber/Alfa Romeo en 2018).

🔧 Des a priori physiques démontés

Pendant longtemps, l’absence des femmes aux avant-postes de la F1 a été justifiée par de supposées limites physiques. De nombreux acteurs du milieu, comme l’ancien patron Bernie Ecclestone, ont soutenu que le « sexe faible » n’aurait pas la force et l’endurance nécessaires pour piloter ces monstres mécaniques.

Ces clichés ont pourtant été battus en brèche :

Plusieurs femmes pilotes de chasse supportent des accélérations bien supérieures aux 4 ou 5 G d’une F1.
Le vieillissement des champions comme Fernando Alonso (41 ans) prouve que l’exigence physique du pilotage moderne est toute relative.
De l’aveu même de pilotes comme Lando Norris, le facteur clé est avant tout le manque de pratiquantes dès le plus jeune âge (en karting) qui crée un déficit de candidates potentielles.

La vérité est qu’aucune barrière physiologique n’empêche les femmes de piloter en F1. C’est bien un problème de mentalités et de moyens qui freine leur percée à haut niveau.

🏎️ Peu de femmes aux échelons inférieurs

Le constat est sans appel : les femmes restent très minoritaires dans toutes les catégories du sport auto menant potentiellement à la F1 :

Elles ne représentent que 5% des licenciés en compétition automobile dans le monde.
En France, l’Auto Sport Academy, pépinière de la FFSA, compte en moyenne 1 fille pour 20 garçons.
En karting, elles se font rares sur les grilles et abandonnent souvent la compétition vers 15 ans.

Seule la W Series, un championnat 100% féminin lancé en 2019, tente d’inverser la tendance en mettant en lumière de jeunes talents comme Jamie Chadwick. Mais pour avoir une chance d’accéder à la F1, il faudra qu’un nombre bien plus important de filles se lancent et puissent progresser à armes égales avec les garçons dans les formules de promotion.

💰 Un monde très masculin et élitiste

Au-delà des statistiques et des parcours individuels, c’est tout un écosystème qui reste peu favorable à l’émergence de femmes pilotes en F1 :

Des décideurs masculins pas toujours exempts de préjugés sexistes, à l’image de propos polémiques tenus par le consultant Red Bull Helmut Marko ou l’ex-champion Stirling Moss.
Un entre-soi viril bien installé dans les paddocks avec son lot de remarques déplacées et potentiellement intimidantes.
Un milieu élitiste où l’argent est roi et où les jeunes pilotes doivent s’attirer les faveurs de riches investisseurs qui misent plus facilement sur des garçons.
Un cercle vicieux du manque de modèles féminins et de figures inspiratrices rendant plus difficile l’identification et la projection des jeunes filles.

Pour toutes ces raisons, gravir les échelons jusqu’à la F1 relève encore du parcours du combattant pour une femme, comme en témoignent celles qui ont essayé récemment.

👩‍🔧 Un rôle accru dans les écuries

Si les femmes restent très rares dans le baquet des monoplaces, elles sont de plus en plus nombreuses à travailler au sein des écuries de F1 :

Deux équipes sont dirigées par des femmes : Williams (Claire Williams) et Sauber/Alfa Romeo (Frédéric Vasseur).
Des mécaniciennes et ingénieures travaillent chez Lotus, Red Bull, Ferrari ou encore Mercedes.
L’Anglaise Leena Gade a remporté les 24h du Mans comme ingénieure en chef d’Audi de 2011 à 2014.

Ces success stories prouvent qu’il n’y a pas de « gène masculin » du sport auto et que les femmes ont toutes les compétences pour y réussir. Elles préfigurent peut-être une féminisation progressive qui finira par toucher aussi le pilotage.

💪 Des initiatives pour plus de mixité en piste

Conscients de ce déficit de diversité, les instances de la F1 et plusieurs écuries ont lancé ces dernières années des programmes destinés à féminiser les grilles à moyen terme.

🏆 Un championnat 100% féminin pour se révéler

Créée en 2019 avec le soutien de la F1, la W Series a pour ambition de mettre en lumière les meilleurs talents féminins en leur faisant courir un championnat de monoplaces dans des conditions professionnelles.

Disputée en lever de rideau des GP de F1 avec des F3 de 270 chevaux, elle offre une exposition inédite aux pilotes sélectionnées. Parmi elles, la Britannique Jamie Chadwick, double championne en titre, apparaît comme la plus prometteuse. Intégrée à la Williams Driver Academy, elle pourrait être la première à accéder à la F1 d’ici quelques années.

Malgré son succès, la W Series est parfois critiquée, certains estimant qu’il serait préférable pour les filles de courir directement avec les garçons. C’est le point de vue de la pilote allemande Sophia Flörsch, qui évolue en F3 mixte : « À l’université, femmes et hommes étudient ensemble car c’est normal. En sport auto, il devrait être aussi normal de concourir ensemble. »

🇫🇷 Le projet Rac(H)er pour détecter et former des filles

En France, l’écurie Alpine, en partenariat avec la FFSA, a lancé en 2022 un ambitieux programme baptisé Rac(H)er pour favoriser l’émergence d’une élite féminine en sport auto.

Il s’articule autour de deux axes :

La détection de jeunes talents féminins dès le karting via des opérations de repérage dans le monde entier. Les meilleures intégreront ensuite un programme de formation.
La création d’un « Centre de haute performance » à Enstone (GB) disposant d’outils de pointe pour évaluer et optimiser les performances physiques, cognitives et émotionnelles des pilotes : simulateurs dernière génération, laboratoire d’analyse des données, suivi médical et mental…

L’objectif affiché est d’amener d’ici 5 à 7 ans au moins deux filles au niveau requis pour intégrer l’Academy Alpine, l’antichambre de l’équipe de F1. Un projet novateur, inspiré des méthodes de détection de la FFF, qui pourrait faire des émules.

👩‍🎓 Des programmes pour accompagner les espoirs

Plusieurs écuries ont mis en place des filières pour repérer et former de futures championnes :

Ferrari a intégré en 2021 la jeune Maya Weug (Pays-Bas) dans sa Ferrari Driver Academy. Une première pour la Scuderia.
Depuis 2019, la pilote britannique Jamie Chadwick est en test avec Williams qui la prépare à un potentiel volant en F1.
Sauber/Alfa Romeo a engagé en 2017 la Colombienne Tatiana Calderon comme pilote de développement avant de la promouvoir pilote d’essai en 2018.

Ces initiatives montrent que les mentalités évoluent et que les écuries sont prêtes à investir sur des filles à potentiel. Même si le chemin est encore long, le mouvement semble lancé vers plus de parité en F1.

⏳ Vers une F1 mixte d’ici 10 ans ?

Que faudrait-il pour voir enfin une femme titulaire en Formule 1 et s’y imposer ? Si les initiatives se multiplient pour dénicher et propulser des filles, plusieurs conditions devront encore être réunies pour transformer l’essai.

🔑 La clé : plus de pratiquantes dès le plus jeune âge

Pour avoir une chance de percer en F1, il faut avoir cumulé des milliers d’heures de pilotage et de compétition depuis l’enfance. Les champions actuels ont pour la plupart débuté en karting entre 5 et 8 ans.

Lando Norris résume bien la problématique : « S’il y a 100 000 garçons en karting pour 1 en F1, il y a peut-être 10 filles pour 100 000 garçons. Les probabilités qu’une fille arrive en F1 sont donc bien plus faibles, aucun rapport avec le talent. »

Il est donc crucial d’attirer beaucoup plus de petites filles sur les pistes de karting. Cela passe par des opérations de promotion grand public, des modèles inspirants et aussi par le fait d’équiper un maximum de clubs avec du matériel adapté aux gabarits enfants.

💪 Accompagner la progression à tous les niveaux

Une fois ce vivier constitué, il faudra donner aux meilleures les moyens de progresser à armes égales avec les garçons dans toutes les catégories :

En karting avec des championnats et des équipes de haut-niveau davantage mixtes.
Dans les formules de promotion (F4, F3, F2) en leur donnant accès aux meilleures écuries et à des programmes d’entraînement sur-mesure.
Via des partenariats avec des constructeurs automobiles et des sponsors sensibles à la question de l’égalité hommes-femmes pour financer ces parcours d’exception.

Tout cela représente un effort de longue haleine mais qui devrait porter ses fruits à terme. Selon Michèle Mouton, présidente de la commission femmes de la FIA, on devrait voir une femme en F1 d’ici 2030 si la dynamique actuelle se poursuit.

👊 Vaincre les résistances grâce aux résultats

Même avec des parcours solides et des soutiens de poids, les pionnières du futur devront aussi et surtout performer en piste pour s’imposer dans ce milieu encore très masculin.

C’est l’avis de Susie Wolff, pilote de développement F1 puis directrice de l’équipe Venturi en Formule E : « Une femme devra d’abord montrer qu’elle peut gagner dans des catégories inférieures très relevées. C’est ça qui fera changer les mentalités, plus que tous les discours. »

Seuls les chronos et les victoires face aux hommes feront taire définitivement les sceptiques et ouvriront grand les portes des top teams. C’est ce qu’a réussi à faire Michèle Mouton en finissant vice-championne du monde des rallyes en 1982. Un exemple à suivre.

🏁 Un cercle vertueux à enclencher

Si une première femme parvenait à décrocher un volant et à briller en Grand Prix, cela créerait à coup sûr un immense appel d’air et un cercle vertueux :

Un énorme coup de projecteur médiatique et une curiosité du grand public qui renouvelerait l’image de la F1.
Des petites filles qui se projetteraient davantage en voyant une femme piloter parmi les meilleurs.
Des sponsors et des écuries qui investiraient massivement pour surfer sur cette nouvelle dynamique.

Comme l’explique Jamie Chadwick, pilote de développement Williams F1 : « La première femme en F1 subira une grosse pression mais elle ouvrira définitivement la voie à d’autres. Il suffira d’une pour que le mouvement devienne irréversible. »

💪 Conclusion : Un défi à relever pour le sport auto

73 ans après les débuts de la F1 moderne, la question de la présence des femmes dans la catégorie reine reste entière. Malgré des pionnières méritantes et quelques signaux encourageants ces dernières années, aucune n’a encore réussi à s’y faire durablement sa place.

Les raisons de ce plafond de verre sont connues :

Un manque criant de pratiquantes dès le karting.
Des a priori physiques erronés mais tenaces.
Un entre soi masculin parfois hostile.
Un déficit d’investissement et d’accompagnement dans la durée.

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